Voilà maintenant plus de 30 ans qu'avec son éloquence de faux-vrai prof' de fac, François Rollin distille un humour absurde, cultivé et sophistiqué. À l'occasion de son nouveau spectacle « Le Professeur Rollin se rebiffe », nous lui avons un peu tenu la jambe et fait disserter sur le rire, cette pratique si risquée par les temps qui courent...
François Rollin, pour vous, l'humour, c'est quoi ?
Pour moi, l'humour, c'est une façon de penser autrement que « tout droit », une manière de regarder le monde et ses difficultés différemment. L'humour est un second degrés du regard. C'est pour cela que l'on dit que l'humour est un outil de communication très important car il permet de faire passer des idées d'une manière plus légère et dédramatisée.
En quoi l'absurde est-il risible ?
L'absurde est risible parce qu'il se décale du réel. Ce qui n'est pas drôle, c'est le réel. Il n'y a aucune rupture en lui, aucune fracture. Le rire ne vient que lorsqu'il y a cette rupture ou cette fracture. L'absurde est un des registres dans lequel on crée une cassure par rapport à cette réalité.
Mais finalement, le réel n'est-il pas absurde en lui-même ?
Non. Il est quelques fois tordu, dramatique... Même quand il est effroyablement douloureux, on a les pieds collés à la réalité. L'absurde ,quant à lui, vous emmène dans un autre monde. C'est une façon d'échapper au poids des choses et de la monotonie du quotidien.
Y-a-t'il une spécificité de l'humour français ?
Je ne connais pas assez bien l'humour planétaire pour caractériser précisément l'humour français, mais je pense que sa principale singularité est le calembour. Le Français est le champion du jeu de mot, et au passage, ce n'est pas du tout mon genre d'humour. En tout cas, ce qui me rassure, c'est que l'humour a quelque chose d'universel. Les échanges que j'ai eus avec des humoristes de pays lointains m'ont montré qu'on se comprenait tout de suite : nous avions la même façon de ne pas avoir la même façon de regarder l'existence.
Votre spectacle se nomme donc « Le Professeur Rollin se rebiffe » et l'on comprend en y assistant que c'est contre la bien-pensance que vous vous rebiffez. Mais la bien-pensance est un terme fourre-tout, on est toujours le bien-pensant d'un autre. Alors pour vous, cette bien-pensance, c'est quoi ?
Pour moi, c'est vraiment cette posture qui consiste à prendre comme pré-requis la pensée de l'autre comme radicalement suspecte : « moi je pense bien, mais toi, tu es suspect par rapport à ma bonne pensée. » Du coup, ce genre de raisonnement esquive le débat et vous range de suite dans le « mauvais côté »... Et rend également un nombre de sujets interdits comme l'immigration, l'homophobie, etc. Au final, ces sujets sont récupérés par le FN, il est là le drame.
Actuellement, qui sont les tenants de cette bien-pensance ?
France Inter, Télérama, Libé, Les chroniqueurs de Ruquier... Ces derniers par exemple sont toujours du « bon côté ». Face à Michel Onfray par exemple, ils étaient deux à se défouler sur lui, alors qu'ils n'ont pas le vingtième de son intelligence... (cf émission « On N'est Pas Couché » du 17 janvier dernier, ndlr )
Il y a un autre grand professeur qui s'est illustré dans la connerie en France, c'est le Professeur Choron. Quel rapport entretenez-vous avec le personnage et son humour ?
Ben, je suis très copain avec Michelle Bernier, sa fille. Lui, je l'ai croisé une fois ou deux, comme ça. Choron incarnait vraiment l'esprit Hara-Kiri, c'était un vieille anar' qui revendiquait le droit d'être déconnant et potache. On en a fait tout à coup des idéologues de l'humour, mais non, Choron, il voulait juste que l'on fasse pas chier et qu'il ait le droit de faire le con. Comme il disait, il faisait dans le « bête et méchant », et c'était très bien comme ça.
Existe-t-il un rire officiel ?
Pas vraiment, parce que le pouvoir ne se mêle pas directement de ça. Ce qui existe, c'est un comique « langue de bois ». La langue de bois, c'est la langue qui ne change rien au réel, et qui agit comme une mécanique de moquerie ironique sans fond. C'est juste une soupape qui permet de rigoler pour décompresser, du genre « Hollande est gros, etc. » Ça n'embête personne, ça ne change rien, c'est consensuel.
Y-a-t-il des jeunes comiques qui ne vous font pas rire du tout ?
Disons qu'il y a surtout des registres qui m'attirent moins : je suis un peu fatigué du stand up communautaire qui raconte toujours la même histoire. De toute façon, ce genre est en train de s'essouffler de lui-même et ceux qui font ça avec talent ne tarderont pas à changer de style à l'avenir.
Plus largement, qu'est-ce qui ne vous fait pas rire ?
J'ai l'impression que c'est un peu près comme tout le monde : je ne suis pas tenté de rire des drames et des souffrances d'autrui.
On ne peut donc pas rire de tout...
C'est plus compliqué que ça. Si on ne peut pas rire de tout, on ne peut rire de rien. Benoît Delépine a dit un jour : « on ne peut rire QUE de tout » et je trouve ça très juste. Le rire étant une expression de la liberté, il ne doit pas avoir de digues ou de barrières. Si quelqu'un peut, comme certains anciens déportés, rire des camps de la mort parce que ça lui fait du bien, il n'y a rien à redire. Par contre, si ce rire est narquois, moqueur, et rentre dans des considérations négationnistes juste pour faire chier et créer du buzz, on rentre dans un registre qui manque de sincérité.
Votre remède contre la gueule de bois ?
Je suis partisan de positiver la gueule de bois. Elle fait pleinement partie de l'aventure de la cuite.
« Le Professeur Rollin se rebiffe » jusqu'au 29 mars au Théatre de l'Européen.
5, rue Biot 75017.