Hier s’est ouverte la 76e édition du Festival de Cannes, pas moins controversée que les précédentes : en cause, la présence et l’acclamation de Johnny Depp et Maïwenn, qui ont entamé le bal des projections avec Jeanne du Barry. Guidé·e·s par le courage et la force de conviction d’Adèle Haenel, qui avait déclaré la semaine « politiser son arrêt du cinéma pour dénoncer la complaisance généralisée du métier vis-à-vis des agresseurs sexuels », plus de 100 actrices et acteurs ont décidé de prendre la parole dans Libération pour la soutenir et dénoncer à leur tour un système solide, pourtant de plus en plus décrié. Ce système, c'est celui qui garantit une place confortable aux personnes qui « abusent, harcèlent, violentent » dans les films, devant et derrière la caméra, dans les studios, dans les festivals, avec des récompenses à la main et, souvent, sans conséquences pour leur carrière. Même quand ça se sait, parce que celleux qui le peuplent ont l'habitude et se taisent.
« Des agressions sexuelles, du harcèlement moral, du racisme »
Le mouvement #MeToo a traversé le milieu de cinéma, les langues se sont déliées, mais à l’image des révélations de Médiapart sur l’acteur Gérard Depardieu début avril, qui n’étonnaient pas grand monde dans l’industrie et n’ont pas encore eu de répercussions judiciaires, les choses stagnent. Les hommes violents continuent de prendre la lumière, de canaliser le pouvoir.
« Nous subissons bien trop souvent des agressions sexuelles, du harcèlement moral et du racisme au sein même de nos lieux de travail. Lorsque nous avons le courage de parler ou demander de l’aide, nous nous entendons trop souvent dire « Tais-toi s’il te plaît, pour la vie du film ». Il arrive même que des producteur·ice·s soient prêt·e·s à acheter notre silence. Ces formes de violence font partie de notre quotidien […] ». Ce système fatigue, isole, mais, de plus en plus, galvanise les colères des professionnel·le·s du métier. Parmi les 123 signataires, figurent notamment Géraldine Nakache, Laure Calamy, Swann Arlaud, Anna Mouglalis, Clotilde Hesme, Jérémie Renier, Ophélie Bau ou encore Camille Chamoux.
Le Festival affiche des « positionnements politiques » qui ne passent pas
Après Polanski, place à Johnny Depp. Hier soir, lors de la projection de Jeanne du Barry, ce n’est pas une salle sommée par la honte mais plutôt une standing ovation qui a été offerte à l’acteur, le même qui a été soutenu par des réseaux masculinistes pour mener à bien son procès pour diffamation face à Amber Heard à Fairfax (États-Unis). La réalisatrice du film, Maïwenn, a de son côté reconnu la semaine dernière dans Quotidien avoir agressé physiquement le co-créateur de Médiapart Edwy Plenel, qui avait porté plainte en avril dernier contre elle.
Les signataires poursuivent alors, dans leur tribune : « Nous sommes profondément indigné·es et refusons de garder le silence face aux positionnements politiques affichés par le Festival de Cannes. […] En déroulant le tapis rouge aux hommes et aux femmes qui agressent, le festival envoie le message que dans notre pays nous pouvons continuer d’exercer des violences en toute impunité, que la violence est acceptable dans les lieux de création ».
Qu’en disent les organisateurs ?
Mais alors, faut-il séparer l’homme de l’artiste ? Le débat fait rage. Le délégué général du Festival, Thierry Frémaux, semble avoir formé son opinion. Il déclare s’intéresser à Depp « comme acteur », auquel rien n’interdisait de tourner, et dont la prestation dans le film est « extraordinaire ». Il assure n’avoir pas suivi la saga judiciaire entre Depp et Heard. Les internautes ne sont pas vraiment du même avis : sur les réseaux sociaux, le hashtag #Cannesyounot a été créé et relégué des centaines de fois.