Aux Frigos, l’espace où travaille Paella ressemble sûrement un peu à tous les ateliers d’artistes. Il y en a partout, et on distingue sa signature dans chaque recoin. Ce bonhomme étrange, couleur chair et visage en spirale, se cache dans une photographie ici, sur des tapis là, tend le cou depuis un sac customisé et prend toute la place sur une gigantesque toile inachevée, « commande d’un client », précise le peintre. Au centre de la pièce, deux chaises vintage, une table en bois et, dessus, un plateau café. Paella s’assoit puis parle vite, regarde partout et, puisqu'il est doté d’une grande générosité, déballe son histoire comme un cadeau.
Les Frigos, fruit de l'effervescence créative des années 80
Paella s'installe aux Frigos avec cinq de ses amis des Beaux Arts au milieu des années 80, en plein mouvement de la figuration libre. À l’époque, la France fait la part belle à la jeune peinture, Mai 68 aidant. « On n’a plus besoin d’être vieux pour être peintre », se souvient-il, alors quant l’entrepôt frigorifique ferroviaire du 13e se libère, ces grands rêveurs sautent sur l’occasion. Eux aussi veulent des locaux, de la place, et profitent de la collectivité pour imaginer un lieu de travail placé sous le signe de la création.
Presque 40 ans après, l’esprit reste le même. Au cœur de ce gigantesque complexe inondé de graffitis cohabitent une multitude de métiers, des architectes, sculpteurs, orfèvres, photographes, peintres, mais aussi affichistes, deux casquettes que Paella porte avec responsabilité.
Artiste aux supports infinis
Artiste dans l’âme, peintre dans le cœur, son pinceau s'exprime aussi bien sur de classiques toiles blanches qu'apposé contre le crépit d’un mur délabré. Paella est affichiste, ce que certains appellent street-artist, mais qu’il préfère transformer en « activiste urbain ». Ce qu’il aime, c’est « l’expression libre, sociale et politique des affiches », qui colle à son usage de la sérigraphie et permet au public de réagir. « On peut les nettoyer, les décoller, les arracher. L’affichage provoque, interpelle, et dépasse l’esthétique. »
© PAELLA/ADAGP
Polyvalent et en quête perpétuelle de renouvellement, Paella se plaît aussi à détourner les objets qu’il trouve dans la rue. En 2013, il crée la série Bons Débarras en dessinant sur des objets abandonnés, « machine à laver, planche à repasser, gouttière, tout ce que je trouvais », pris en photo et postés sur les réseaux sociaux. Encore aujourd’hui, il n’est pas rare de tomber par hasard sur l’une de ses œuvres, dispersées dans la capitale.
Formuler « une chronique du monde actuel »
Présenté comme un commentateur de l’actualité, notion ambiguë, Paella préfère clarifier sa posture. Marche-t-il dans les pas du dessinateur de presse ? Ça y ressemble, mais pas vraiment. Il ne « commente pas forcément l’actualité », mais formule une « chronique du monde actuel » renvoyant à ses thèmes de prédilection, « le capitalisme, l’écologie, les maladies, les extrêmes… », énumère-t-il. Pour lui, le dessin de presse « prend la tournure d’une blague, et pas d’un dessin engagé ». Grâce aux textes qui accompagnent son bonhomme, souvent rouges « pour percuter », cet homme invite le public à se questionner tout en s’identifiant à ce visage anonyme, parfois genré au féminin, parfois au masculin. « Dans l’humanité, la connerie vient souvent du système mené par les hommes », plaisante-t-il.
À 62 ans, Paella n’en est plus à son coup d’essai mais a encore mille événements à commenter, mille matières à exploiter. En ce moment et jusqu’au 3 mars, il expose une série sur l’enfantillage au bar Le Duplex. Fruits d’une réflexion pendant le confinement, ces bébés aux cheveux blancs sont adultes, nés en se posant des questions sur le monde changeant, une sorte de Pauvres Créatures à l’envers. Un travail à découvrir lors des portes ouvertes des Frigos, le week-end des 25 et 26 mai.