Le Bonbon

Parcs d’attraction Kidzania : les enfants au travail !

- Pour la première fois, le Bonbon déclare sa flamme à une école de journalisme, le Celsa, en s'associant avec son super webzine : Kulturiste, qui rassemble aujourd'hui près de 50 étudiants. Réunis par l'amour de la culture et de Paris, Kulturiste et le Bonbon s'associent pour vous présenter chaque semaine un regard original sur l'actualité culturelle parisienne. Cette semaine, cet article passionnant signé Théo Barriere. -


Revêtez la casquette qui vous plaît et amusez-vous en travaillant ! Telle est la promesse du concept de parcs Kidzania qui s’adresse exclusivement aux enfants âgés de 1 à 14 ans. Dans ce parc, ils peuvent s’essayer à divers métiers au sein d’une ville reconstituée et financée par des marques. Si certains y voient une manière ludique de donner un premier regard aux enfants sur le monde du travail, d’autres y perçoivent une dérive supplémentaire de l’économie capitaliste. Immersion au cœur de ce parc où les enfants travaillent.


Ici, le capitalisme est un jeu

Né au Mexique il y a 19 ans, le concept du parc Kidzania s’est exporté dans de nombreux pays et les projets fleurissent à travers le monde. Fin 2015, on dénombrait ainsi 16 parcs contre 24 aujourd’hui. Le principe est le suivant : au début de la journée les enfants reçoivent une somme d’argent fictive utilisable uniquement au sein du parc, les "Kidzos". Ils évoluent ensuite au sein d’une ville reconstituée en intérieur où se trouvent magasins, points de vente et autres stands dans lesquels ils peuvent exercer les métiers proposés contre rémunération. En effet, chaque "mini-carrière", qui dure 25 minutes, est rétribuée par un salaire permettant à ces travailleurs d’un jour d’effectuer des achats dans les boutiques souvenirs du parc ou dans d’autres magasins tenus par d’autres enfants. Ils peuvent même faire un séjour à l’université du parc afin d’acquérir des "diplômes" et accéder à des métiers qui requièrent un certain niveau de qualification comme celui de chirurgien. L’offre est ainsi complète. Plus de 100 "carrières" sont proposées, allant du métier de caissier ou vendeur en boutique à celui de médecin, pompier, personnel aérien ou encore de technicien automobile et de présentateur radio. Tout est alors fait pour rendre les enfants autonomes et les ancrer dans un univers qui se veut réaliste.  


Le royaume des marques

Les stands du parc sont financés par des marques. Les enfants peuvent ainsi acheter des vêtements chez H&M, apprendre à changer des pneus chez Renault ou encore s’initier au métier de dentiste dans un cabinet Colgate. De nombreuses marques sont présentes : on y retrouve des entreprises comme McDonald's, Kellog's ou encore la compagnie aérienne British Airways. Ceci leur assure une grande visibilité dans des parcs qui, en 2017, ont attiré plus de 9 millions de visiteurs à travers le monde de Londres à Tokyo en passant par Le Caire et Istanbul. C’est aussi, pour ces marques, l’opportunité d’être découvertes ou re-découvertes de manière inédite par les enfants, clients de demain. Elles peuvent ainsi directement les cibler, sans même passer par l’intermédiaire des parents. Cette stratégie marketing, qui consiste à s’adresser directement aux enfants, s’inscrit dans une tendance générale des marques qui voient en eux un marché prometteur et qui est désignée par le terme de "kiddification". Ce néologisme désigne plus précisément le fait de s’adresser aux enfants comme à des consommateurs adultes et de leur donner l’opportunité de pouvoir faire les mêmes choses que leurs parents. Ici, non seulement travailler, mais aussi consommer.


Un hymne au capitalisme et à la société de consommation qui divise

Selon son concepteur, Xavier López Ancona, l’objectif de ces parcs est de donner la possibilité aux enfants de « faire comme dans la vraie vie ». Ces parcs ne sont donc pas une simple initiation au monde du travail et à ses métiers, mais bien une immersion totale au sein d’un espace envahi par les marques et où l’argent a une place prépondérante. À l’entrée du parc, le slogan annonce la couleur : "Que votre journée soit productive". Dès lors, le but des enfants est d’accumuler le plus de Kidzos possible afin d’effectuer un maximum d’achats dans les boutiques du parc. En somme ils sont incités à dépenser dans un parc où travail et consommation règnent en maîtres.

Pour autant, les concepteurs du parc mettent en avant le côté ludique et pédagogique de celui-ci. L’entreprise Kidzania se pose même en tant que leader dans le domaine de "l’edutainment" c’est-à-dire de l'éducation en s’amusant. Si l’on s’en remet aux chiffres, il semblerait que les établissements scolaires y voient effectivement un moyen efficace de donner une première approche du monde du travail aux élèves. A Kidzania Dubaï, le public scolaire représentait ainsi plus de 70% des 550 000 visites enregistrées en 2011. De son côté, le président de Kidzania Londres, Joseph Cadbury, juge ce concept « révolutionnaire » car permettant « d’ouvrir les yeux des enfants sur les réalités de la vie ». Mais est-ce vraiment le rôle des parcs d’attraction que d’imposer cette vision là du monde aux enfants, au détriment de la leur qui est soi-disant déconnectée de la réalité ? Les marques ne les voient que par le prisme du profit, comme des bénéfices sur pattes. Ce parc peut alors apparaître comme une apologie du capitalisme et de ses logiques économico-productives cherchant par là même à formater les enfants dès leur plus jeune âge.

Il en incombe alors à la responsabilité des parents de faire preuve d’un regard critique à l’égard de ce parc et de réfléchir à deux fois avant d’y envoyer leurs enfants. En effet, si ce parc possède certainement quelques atouts – il peut être un bon moyen de donner une première approche sur ce qu’est le monde du travail –, il doit aussi s’accompagner d’un discours traduisant une certaine prise de recul. On ne peut en effet faire croire aux enfants que le monde du travail ne s’apparente qu’à un jeu et qu’ils s’amuseront toute leur vie de la sorte.

Un des réels bénéfices de ce parc pourrait bien être de donner envie aux enfants de le rester quelques années supplémentaires pour échapper encore un peu à ces géants économiques qui cherchent par tous les moyens à leur mettre le grappin dessus.


Texte : Théo Barriere