En octobre 2017, #metoo faisait son arrivée dans nos vies. S’il est d’abord né sur Twitter, il s’est par la suite mué en mouvement d’ampleur mondiale, appelant les femmes à partager les faits de violences sexuelles dont elles ont été victimes dans les journaux, sur les réseaux sociaux, auprès de leurs proches. Harcèlement, sexisme, agressions, parfois même jusqu’au viol, en cinq ans, #metoo a cumulé près de 53 millions de tweets à travers le monde. Mais a-t-il vraiment fait bouger les choses ?
L’histoire d’un tweet qui a renversé la balance
Le 15 octobre 2017, tout juste dix jours après les révélations du New York Times et du New Yorker sur les accusations d’agressions sexuelles et de viols visant le producteur américain Harvey Weinstein, l’actrice américaine Alyssa Milano va, sans le savoir, créer un mouvement d’ampleur mondiale. Sur Twitter, elle invite les femmes ayant été victimes de violences sexistes et sexuelles à prendre la parole en écrivant « me too » en réponse à son message.
En près de 24 heures, #metoo récolte près de 792 000 tweets. Débute alors une véritable vague de libération de la parole des femmes. De nombreux autres hashtags voient le jour sous le même objectif, comme le fameux #balancetonporc, créé par la journaliste française Sandra Muller, #metooinceste, #balancetadickpic ou encore #jesuisvictime, lancé en 2020 suite au sacre de Roman Polanski à la cérémonie des Césars.
Si #metoo n’était pas le premier hashtag à tenter de dénoncer la violence et le harcèlement à l’encontre des femmes, il est néanmoins celui qui aura marqué l’Histoire, donnant une visibilité à des milliers de témoignages, ainsi que la force et le courage nécessaires aux femmes pour parler ouvertement des abus sexuels dont elles ont été victimes.
Des avancées réelles, mais une victoire en demi-teinte
Cinq ans plus tard, l’une des plus grandes réussites du mouvement est sans aucun doute d’avoir permis une véritable prise de conscience quant à l’ampleur des violences faites aux femmes. Selon Diane Richard, membre de la coordination nationale chez Nous Toutes, « la prise de parole des femmes n’est pas nouvelle, mais on s’est simplement mis à les écouter plus qu’avant et ça, c’est un gros progrès ». La déferlante de hashtags et de témoignages dont a été témoin Twitter a ainsi permis de « faire rentrer des notions, comme la culture du viol ou les féminicides, dans notre vocabulaire alors qu’on ne les utilisait pas avant », affirme la militante.
Un sentiment globalement partagé par les Parisiens et Parisiennes. Clara, étudiante de 25 ans, estime qu’elle « se sent plus forte et plus écoutée depuis l’arrivée de #metoo ». Victime d’agression sexuelle à 20 ans, la jeune femme pense que « l’élan de témoignages sur les réseaux sociaux [lui a permis] d’en parler plus ouvertement car [elle s’est] sentie moins seule ».
Selon Ambre, greffière de 36 ans, « #metoo a incité les femmes à se soutenir et à s’entraider plus qu’avant ». Pour cette maman d’une petite fille de 5 ans, « il est très important de grandir avec l’idée que les femmes sont des alliées et non des ennemies. Toute ma vie, j’ai pensé que les femmes étaient des rivales et ce n’est qu’à mes 30 ans que j’ai commencé à me déconstruire, en partie grâce à #metoo ».
Du côté des médias, un certain nombre de changements ont également été constatés. De plus en plus, les rédactions s’attachent à employer les “bons mots” pour évoquer les violences sexistes et sexuelles. Une évolution réelle, saluée par les associations, même si du chemin reste à faire selon Diane Richard : « avant #metoo, on ne parlait pas du tout des féminicides de façon structurelle, mais seulement comme de simples faits divers. Le décompte des féminicides sur les réseaux sociaux a permis de rendre compte du caractère systémique des violences faites aux femmes. Ce n’est pas encore tout à fait ça, mais on avance ».
Chez les hommes, #metoo a également porté ses fruits. Si beaucoup ne considèrent pas avoir été “éduqués” par le mouvement, ils estiment tout de même avoir « pris conscience des violences qui [les] entourent, et [font] désormais en sorte d’être plus attentifs et à l’écoute auprès des femmes de [leur] cercle », comme l’affirme Axel, interne en médecine générale de 26 ans.
L’impact de #metoo sur les mentalités est indéniable, mais un décalage s’est néanmoins creusé entre la société et la politique. « L’une des limites du mouvement, c’est que pour l’instant, ça s’arrête à la prise de conscience. Ça ne s’est pas accompagné du tout d’une diminution des violences puisque les chiffres restent tout aussi élevés, voire plus élevés », rapporte Diane Richard. En effet, selon l’Observatoire national des violences faites aux femmes, près de 94 000 femmes ont été victimes de viols ou de tentatives de viol en 2020, contre 93 000 en 2016.
Mais que fait la justice ?
La société évolue, mais la justice peine à suivre. Malgré une hausse exponentielle du nombre de plaintes pour agression sexuelle depuis 2017 – plus de 75 000 plaintes en 2021 contre 41 600 il y a cinq ans –, une grande majorité n’a toujours pas obtenu gain de cause devant un tribunal. « Les chiffres de la justice sont catastrophiques : près de 80 % des plaintes pour violences conjugales sont classées sans suite aujourd’hui, et seulement 0,6 % des viols sont condamnés », constate la militante de Nous Toutes.
Du côté de la politique, plusieurs mesures ont été mises en place depuis 2017 : création de l’infraction d’outrage sexiste, lutte contre le cyberharcèlement, allongement du délai de prescription pénale pour les crimes sexuels sur mineurs de 20 à 30 ans, création d’une plateforme de signalement pour les victimes de violences sexuelles... Néanmoins, ces dispositifs sont encore loin d’être suffisants. Selon Diane Richard, ce manque de résultats est majoritairement dû à un manque de moyens : « Faire des nouvelles lois, ça ne sert à rien si on n’est pas en mesure de les appliquer. Il faut allouer un budget conséquent et suffisant pour vraiment traiter le problème. » Pour cela, les associations féministes réclament 2 milliards d’euros pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles, soit 0,1 % du PIB. « C’est très peu quand on y pense. »
Au final, #metoo semble avoir eu un impact réel sur la société, mais pas sur les pouvoirs publics. Et si la lutte féministe est toujours d’actualité, un essoufflement se fait bel et bien ressentir auprès des militant.e.s. Faut-il désormais abandonner le hashtag ? C’est en tout cas ce que pense Alice, kinésithérapeute et militante à ses heures perdues : « La lutte féministe a besoin d’un nouvel élan et pour ça, il faut montrer qu’on a surpassé #metoo et qu’il appartient désormais au passé. La prise de conscience est faite, maintenant, place à l’action ».
Si beaucoup de chemin a été parcouru, les prochaines années seront décisives. Il n’est pas encore trop tard pour que la justice rattrape les années de négligence dont elle a fait preuve vis-à-vis des violences sexuelles et sexistes. Rendez-vous dans 5 ans pour faire le point ?
Pour aller plus loin...
- Progrès ou recul ? Les femmes en 2022, documentaire de Brigitte Kleine sur Arte
- Les couilles sur la table, un podcast de Binge Audio
- Les féministes: à quoi pensaient-elles ?, documentaire de Johanna Demetrakas sur Netflix
- Moi aussi (Me too, au-delà du hashtag), un livre du collectif Rose Lamy
- Le site de Nous Toutes