En plein cœur de Paris, à deux pas de la place des Victoires, au premier étage d’un bâtiment détenu par la Ville de Paris, se trouve un espace de près de 2000 m2 entièrement dédié à l’art et à la solidarité. Dirigé par Judith Depaule, metteuse en scène et cofondatrice de l’association, l’atelier des artistes en exil accueille et accompagne les artistes en situation d’exil en leur proposant à la fois une aide administrative, juridique, sociale et psychologique, mais aussi en leur donnant les moyens d’exercer leur profession.
Ici, les artistes disposent gratuitement d’espaces et de matériel de travail, ainsi que de cours de français, de formations, de bourses à la création… Bref, tout ce qu’il faut pour leur permettre de repartir du bon pied dans un pays qui n’était pas le leur.
1000 ambiances dans un seul lieu
Sculpture, peinture, danse, théâtre, son, couture, montage vidéo, sérigraphie, tirage argentique, sculpture, céramique… Ici près d’une quinzaine d’ateliers et de studios sont partagés par les membres de l’association. De la musique résonne derrière l’une des nombreuses portes du grand atelier, on entend le bruit des machines à coudre et le silence des peintres derrière une autre : chaque pièce abrite une ambiance différente.
© MAXIM KOROTCHENKO / AA-E
Plus qu’un simple lieu de création et d’aide, l’atelier des artistes en exil se veut intercommunautaire et socia(b)le : « L’atelier est aussi l’occasion de rencontrer des gens que les artistes n’auraient jamais rencontrés dans un autre contexte. Quand on attribue les places, on fait attention de mettre en cohabitation des artistes qui se complètent, ou au moins qui ne se dérangent pas ».
On a par exemple fait la rencontre de Tetiana Cheprasova, artiste ukrainienne qui aborde, entre autres, le siège de Marioupol dans ses tableaux. Quelques pièces plus loin, L’enga Kingo Hugor, artiste kinois, représente « le massacre des innocents » à travers des peintures d’enfants soldats aux couleurs chatoyantes. Ici, les artistes vont et viennent jusqu’à minuit, avant de rentrer chez eux ou bien dans leur centre d’hébergement.
Comment est née l’association ?
En 2015, Judith Depaule démarre à Confluences, un lieu intermédiaire parisien dédié à l’art sous toutes ses formes, à la fois un lieu d'exposition et de spectacles : « à cette époque, on a connu une crise migratoire très importante. On a vu arriver beaucoup d’artistes syriens qui fuyaient leur pays et qu’il a fallu aider. On s’est rendu compte à ce moment-là qu’on avait une capacité d'accueil insuffisante et surtout pas très adaptée au travail des artistes », explique-t-elle.
« Les loger ne suffisait pas, on les a aidés dans toutes les démarches administratives et d’intégration, comme les demandes d’asile, l’affiliation à la sécurité sociale, l'apprentissage du français… », ajoute-t-elle ensuite. Une situation qui dure pendant environ 18 mois, jusqu’à la fermeture du lieu pour raisons financières.
© Cyrielle-Dagneaud / AA-E
Après l’organisation d’un festival consacré à la Syrie, ainsi qu’un salon d’artistes en exil, le monde de la culture prend conscience du besoin d’accompagnement de toutes ces personnes réfugiées. Nombreux·ses sont celles et ceux qui expriment leurs difficultés à exercer leur art et à trouver les bons interlocuteurs. « On s’est dit qu’il fallait créer quelque chose de pérenne et avoir une vraie organisation dédiée à ce public », affirme Judith Depaule.
C’est ainsi que l'atelier des artistes en exil est né, en janvier 2017. L’association s'installe d’abord dans le 18e, près de la Porte de la Chapelle, grâce à la générosité d’un grand philanthrope qui leur prête un local gratuitement. Deux ans plus tard, le local est vendu et l’association obligée de déménager. La Ville de Paris décide de loger l’association gratuitement, d’abord dans ses ateliers beaux-arts, dans le 13e, puis près de Bastille pendant quelque temps, et enfin rue d'Aboukir, lieu de résidence actuel de l’atelier depuis fin 2019.
« Notre but, c’est d’aider les personnes qui viennent nous voir et sur le plan juridique, administratif et social, et sur le plan professionnel. On essaie de ne pas séparer l’artiste de l’individu, car cela fait partie d’eux. On ne veut pas juste les aider à vivre, on veut qu'ils vivent leur art aussi », explique la metteuse en scène.
Une aide plurielle
Les aider à vivre de leur art, oui, mais pas question non plus de se transformer en agent artistique : « Notre idée, en plus de leur offrir un lieu de travail et un espace de création, c’est d’être une interface entre ici et le monde du travail. On les accompagne pour créer un portfolio ou rédiger des contrats par exemple. Et contrairement à un agent, on ne ponctionne pas leurs revenus lorsqu’ils vendent des œuvres : l’association touche 20% de la vente qui atterrit dans une sorte de pot commun et qu’on utilise pour racheter du matériel. L’atelier, c’est un peu comme une maison qui appartient à tout le monde en fait. »
L’association fait également intervenir des professeurs de français pour leur apprendre non seulement la langue, mais aussi à reprendre confiance en eux : « quand on a surmonté des épreuves comme les leurs, il faut réapprendre à s’affirmer et tout ça passe aussi par le corps, notamment lors des démarches administratives », nous explique-t-on. Fin 2023, près de 600 membres étaient inscrits à l’association, dont une centaine aux cours de français.
Une programmation événementielle annuelle
Chaque année, l’association ouvre ses portes au grand public et dévoile sa programmation à l’occasion de son festival Visions d’exil. L’occasion de découvrir tous les artistes qui se cachent derrière la porte de l’atelier, dans les plus grandes institutions culturelles de la capitale. Performances, spectacles, tables rondes, expositions, lecture, concerts, projections… Un melting-pot d’arts vivants et d’arts plastiques prend la capitale d’assaut pour notre plus grand plaisir.
Le reste de l’année, tout un chacun peut tout de même pousser la porte de cette maison arty, que ce soit pour rejoindre les rangs des bénévoles ou déposer du matériel, ou bien pour obtenir de l’aide, à condition d’être un artiste en exil bien sûr.
Atelier des artistes en exil
6, rue d’Aboukir – 2e
Tél. : 01 53 41 65 96
Instagram : @atelierartistesexil
https://aa-e.org/