Laisser apparaître ses cheveux blancs ou les masquer ? La question peut sembler futile. Pourtant, elle englobe bien plus que de simples préoccupations esthétiques. Le choix d'une femme d'assumer physiquement - ou non - les affres du temps n'est pas uniquement guidé par des motivations personnelles. Dans son livre Une apparition, la journaliste Sophie Fontanel étudie en profondeur cette préoccupation et explique comment elle est aussi liée aux normes collectives...
Le blanc dans le vent
Lio, dans une récente interview accordée à L'Obs, raconte avoir pris une décision. En voyant des cheveux de couleur laiteuse envahir progressivement sa chevelure, elle dit avoir « laissé tranquillement venir, sans trop se poser de questions ». Un choix presque naturel pour celle qui, plus jeune, était fan de Marie Seznec, une mannequin de 24 ans à la chevelure grisonnante. « J'ai toujours trouvé cela très beau », raconte-t-elle.
Et apparemment, elle n'est pas la seule. Sur les réseaux sociaux aussi, la tendance est au gris. Des centaines de filles de moins de 30 ans se colorent les cheveux afin d'obtenir la même couleur que leurs (grands) mères et l'affichent ensuite fièrement sur leur compte.
Mais les victimes de cette mode ne sont pas toutes volontaires. Manon a 25 ans. Au Bonbon, elle raconte la maladie dont elle (et sa mère avant elle) est victime : depuis qu'elle a une vigtaine d'années, elle est atteinte d'une dépigmentation précoce des cheveux. C'est génétique. Dès qu'elle a commencé à voir apparaître ces mèches grisonnantes, elle a tout de suite eu recours aux teintures, sans réfléchir. Et puis, en grandissant, elle a voulu accepter pleinement son apparence et ne plus se contraindre à des colorations régulières. Elle a donc arrêté de masquer ce qu'elle considérait jusqu'alors comme son "complexe". Les avis - plutôt mitigés - n'ont pas tardé.
Des réactions teintées de regrets
Lorsque ses racines grises commencent à être apparentes, son nouveau reflet ne lui déplait pas. Mais elle n'est pas la seule à qui cela doit plaire, semble-t-il. Elle raconte : « Le regard des autres sur moi a changé. Celui des inconnus était pesant, parfois même compatissant. Ils se demandaient comment une fille si jeune pouvait subir ce genre de désagrément physique et laisser faire ». Elle raconte comment l'opinion de ses amis, « surtout celle des filles », s'est faite oppressante : « Elles me trouvaient "mieux avant" », lâche-t-elle simplement. « Même ma mère disait me préfèrer "coquette", avec une allure plus "sophistiquée" ». Finalement, face à la pression, Manon craque et décide d'avoir à nouveau recours aux colorations.
D'autres ont tenu bon malgré la pression sociale. L'exemple public de Lio est à ce titre symptomatique de la violence des réseaux sociaux, mais révèle aussi les obstacles plus inattendus relevés dans sa vie privée. Les filles se sont négativement prononcées, lui donnant l'impression de « commettre un impair, une transgression presque obscène ». Elles l'ont suppliée. Il ne fallait surtout pas qu'elle se « laisse aller ». Comme si, accepter de vieillir, et donc accepter sa condition, était synonyme de négligence... Pourquoi ?
Du blanc pour les garçons, du tabou pour les filles ?
Selon Sophie Fontanel (auteure de l'ouvrage à venir Une apparition), les avis défavorables viennent avant tout d'un problème de « représentation de la féminité ». Dans les Inrocks, elle parle de l'injonction au jeunisme. « On fait croire aux femmes qu'elles n'ont pas le droit de vieillir », dit-elle. Mona Chollet, journaliste au Monde diplomatique et essayiste, corrobore ce propos. Dans une note publiée sur son blog La Méridienne, elle avance qu'il existe « un vrai tabou de l'avancée vers l'âge ». Chez son coiffeur, par exemple, on lui dit : « Des cheveux qui blanchissent ? Je ne le vous conseille pas ».
Et ce sont bien les femmes plutôt que les hommes qui, selon elle, subissent davantage de pressions esthétiques au cours de leur vie. La preuve en est au cinéma. Selon une enquête menée par France Info, statistiquement, le héros type aux Etats-Unis a entre 40 et 45 ans, contre 45-50 ans en France. Dans Le loup de Wall Street, d'ailleurs, Leonardo DiCaprio a le double de l'âge de l'actrice Margot Robbie (23 ans à l'époque). Et le cinéma populaire français ne déroge malheureusement pas à la règle. Il y apparaît systématiquement une figure de patriarche ou un duo d'hommes (Les Visiteurs, Intouchables, Astérix et Obélix...). Des matriarches ? Il n'y en a presque jamais. L'historienne du cinéma Geneviève Sellier explique cela par le fait « qu'à la femme revienne la notion de désir, à l'homme celles du rôle social et de la réussite professionnelle, donc de l'âge ». La route du 7e art est encore sinueuse, à un cheveu de l'intolérable...
Faut-il donc militer pour faire accepter sa propre esthétique ?
La solution : militer capilairement ? C'est en tout cas la théorie de Sasha. Interrogée sur la question, elle se dit déterminée. « Si j'avais des cheveux blancs qui apparaissaient et que ça me plaisait, je les laisserais tels quels. Et j'en profiterais même : aujourd'hui encore, pouvoir disposer de son corps est presque un acte militant. Il faut montrer qu'on en est maîtresse, par tous les moyens », assure celle qui ne s'épile plus depuis des années pour ne pas, dit-elle, « se soumettre aux diktats ». De la même manière, elle voit dans les cheveux gris la possibilité d'une force dont il faut tirer profit. « Ce blanc me distingue », dit-elle. « Si on l'assume, il est une première preuve d'épanouissement personnel. C'est un gain, une victoire (sociale et personnelle, donc), mais aussi une richesse. »
Ce plan, Sophie Fontanel l'a mis en vigueur en passant des colorations au blanc. Sur Instagram, elle parle de l'évolution du procédé sur le Hashtag #uneapparitionsophiefontanel. On y découvre que l'expérience se révèle aussi bien individuelle que collective.
Les cheveux à l'ère libre de droits
Néanmoins, même s'il est évident qu'un certain nombre de codes régissent (encore) l'apparence physique (Le Bonbon l'aborde ici), il n'est pas nécessaire de tout théoriser. Comme le dit Anna, « je ne me pose la question que du propre regard que j'ai sur moi ». Se laisser les cheveux naturels n'équivaut donc pas nécessairement à une forme de militantisme. Parfois, cela signifie simplement qu'on est ok avec le temps qui glisse, et ok avec le regard d'autrui, quel qu'il soit. Qu'on est libre de ses mouvements, aussi (en se rappellant tout de même que les mèche roses, c'est absolument illégal).