Le Bonbon

A-t-on le droit de s’improviser critique gastronomique sur Internet ?

Début octobre, Christophe Primel lançait Critiquons les critiques, une page Facebook permettant aux chefs de répondre aux critiques (selon eux, malvenues) publiées sur Internet. Une façon de monter au créneau contre cette envolée de critiques virtuelles (et publiques) de gastronomes insatisfaits qui n’hésitent pas à laisser des commentaires assassins. La frontière entre critiques de clients lambda et de pros apparaît dès lors totalement brouillée. Mais que valent vraiment ces avis ? Ont-ils un impact ? Le Bonbon fait le tour de la question. 


Un droit de réponse donné aux chefs

« Méfiez-vous, vous qui d'un bon mot pouvez briser le moral et l'intégrité d'hommes dévoués à leur art. » Tel est le mantra de cette page créée par Christophe Primel, gastronome amateur qui ne supportait plus cette vindicte contre les chefs. « Je veux ici pousser un coup de gueule face aux pseudo-critiques culinaires auto-proclamés qui d'un mauvais mot, de mauvaises intentions, d'un mauvais papier, entachent des heures de création, des jours à suer au-dessus des fourneaux, des vies de passion et de partage à se forger une réputation », explique l’épicurien engagé à propos de sa page. 

La parole est donnée aux chefs, mais pas n’importe lesquels. N’ont le droit de s’exprimer que les établissements ayant reçu une, deux ou trois étoiles par Le Guide Michelin en 2017, car selon Christophe Primel, la voix d’un chef primé aura plus de poids qu’une autre. Depuis sa création début octobre, la page comptabilise environ 1300 followers - l’engouement pour ce droit de réponse semble donc modéré. L'existence de cette page a-t-elle finalement un intérêt pour les chefs ? 


« Les critiques sur des sites tels que TripAdvisor, ce n’est que du vent »

Mathieu Pacaud, à la tête des restaurants Divellec (1 étoile), Hexagone (1 étoile), Histoires (2 étoiles), l’Ambroisie en duo avec son père (3 étoiles), et à la fin de l’année d’Apicius, n’en voit strictement aucun. « Les critiques sur des sites tels que TripAdvisor, ce n’est que du vent. Je ne les lis jamais. La seule chose qui m’intéresse, c’est le client. Le reste ça m’est égal »lance-t-il. Alors qu’un commentaire sur Internet le laissera de marbre, il en est tout autre si un client prend le temps de lui écrire pour dire qu’il est déçu (ou content). « Un jour, un client mécontent m’a écrit une lettre. Quand il a fait ça, nous avons pris le temps de l’écouter, de le réinviter et de comprendre ce qu’il s’était passé. Tout ce qui est virtuel n’a pas d’importance. »

Hugo Blanchet, jeune chef du néo-bistrot Marrow dans le 10e, trouve au contraire l’idée intéressante. « On a la chance de ne pas s’être pris des mauvaises critiques pour le moment, mais parfois je lis des avis scandaleux venant de personnes qui n’ont rien à voir, qui se prennent pour des critiques culinaires, et qui, au lieu de venir nous parler directement, le disent sur Internet, c'est vraiment dommage. Je trouve ça (la page Critiquons les critiques) rigolo, même si ça m’étonnerait que ça fasse avancer les choses, car dans tous les cas on peut répondre aux commentaires sur le net »conclut-il. Le chef, de toute façon, essaye de ne plus lire ces commentaires qu'il trouve « dans tous les cas énervants, et souvent loin d'être constructifs ».

D’autres prennent ces critiques plus à cœur, à l’image de Vincent Durin, chef du restaurant Les moulins de Saint-Aygulf, qui a publié début avril une vidéo devenue virale sur les réseaux sociaux dans laquelle il menace carrément de « trancher la gorge » de commentateurs de TripAdvisor

Quant à Pascal Borrell, chef à Banyuls, il expliquait à l'Express fin septembre craindre « plus TripAdvisor que le Michelin, car les avis n'y sont pas forcément vrais, ils peuvent être rédigés par des concurrents, des ex-employés, etc. Ou les critiques peuvent être écrites à chaud. Or, la personne n'a peut-être juste pas compris ce qu'on a voulu transmettre dans l'assiette. ». Et pense qu'il est préférable de ne pas répondre : « De notre côté également, quand on lit un mauvais commentaire, on se doit de ne pas répondre sur le coup. Cela m'est arrivé une fois : j'ai compris mon erreur. Il faut réfléchir, et se demander si le client avait raison. ».

Outre les chefs, qu'en est-il des professionnels, qui se voient concurrencés par tous ces critiques improvisés sur la toile ?


Une concurrence rude pour les critiques pro ?
 

Chroniqueur gastronomique depuis une quarantaine d’année, Gilles Pudlowski évoque chaque jour sur son blog les Pieds dans le Plat ses coups de cœur, coups de gueule, reportages sur les tables et artisans de bouche d'ici et d'ailleurs. Selon lui, « il ne faut pas confondre critique et réaction, lorsque le client réagit il n’est pas critique. Les gens payent, alors que nous c’est notre boulot, le client s’exprime en tant que client, et non pas en tant que critique ». Et ne voit finalement pas le problème à ce que tout le monde puisse donner son avis. « C‘est un forum où tout le monde veut s’exprimer, laissons les gens s’exprimer en disant "ça vaut ce que ça vaut", je peux difficilement en dire du mal. Chacun a le droit de dire ce qu’il veut. » Bien sûr, il existe des dérives, comme ce « troll qui dès que je parle d’un endroit, s'amuse à faire un post pour dire le contraire », raconte Gilles Pudlowski. 


Loin de remplacer les critiques culinaires, les critiques virtuelles restent finalement un énième moyen pour les internautes de s'exprimer. Libre à nous de choisir d'y prêter attention ou non, et surtout de ne pas en faire tout un plat.