Les dark kitchens, c’est quoi ?
Littéralement, dark kitchen se traduit par « cuisine sombre », mais on les connait aussi sous le nom de « cuisines fantômes ». Le principe est simple : il s’agit de restaurants qui fonctionnent exclusivement avec la vente à emporter, souvent réalisée par les principaux acteur·ice·s de la livraison de repas à savoir Deliveroo et UberEats – il n’y a donc pas moyen de s’installer en salle pour déguster son plat.
Les dark kitchens, on peut les diviser en plusieurs catégories. Il y a d’abord les « originales » comme on peut les appeler. Celles qui sont 100% virtuelles et qui ont aménagé des locaux dans le but de développer leurs cuisines fantômes. On a aussi les restaurants traditionnels qui ont décidé d’étendre leur offre et d’ouvrir une dark kitchen. C’est le cas du groupe Big Mamma qui a ouvert Napoli Gang, une dark kitchen qui suit la lignée du groupe avec des produits artisanaux et italiens. L’occasion pour Big Mamma de s’adapter à une demande changeante, due à la crise sanitaire. Enfin, certaines entreprises se lancent dans la location de locaux tout équipés pour que ces nouvelles dark kitchens n’aient plus qu’à remplir les frigos et se mettre aux fourneaux ! C’est notamment l’offre proposée par l’entreprise Dark Kitchen qui loue des cuisines professionnelles équipées.
Du coût aux possibilités infinies, des avantages indéniables
Ces « cuisines fantômes » présentent de nombreux intérêts pour les restaurateur·ice·s, notamment la réduction des coûts. En effet, les dépenses liées à l’accueil des client·e·s telles que la location ainsi que l’aménagement de la salle ou encore la gestion du personnel de service sont supprimées. De plus, se lancer dans une Dark Kitchen représente une prise de risque assez minime. Si certains de ces nouveaux restaurants optent pour la location d’une cuisine professionnelle équipée, alors les risques liés au succès du restaurant sont réduits par rapport à un restaurant traditionnel qui doit investir dans des locaux et leur aménagement – et dans du personnel. Si le succès n’est pas au rendez-vous, le restaurant ne reste que virtuel. L’ouverture de tels restaurants offre aussi une infinité de possibilité : grâce à ce concept de marque virtuelle, un restaurant de pizza peut très bien décider d’ouvrir une enseigne de burger virtuelle au sein de la même Dark Kitchen. Cela permet donc de diversifier l’offre et de maximiser le chiffre d’affaires. C’est le cas par exemple des 4 restaurants virtuels Street Lab par Eleni Group. Street Lab, c’est une Dark Kitchen et quatre restaurants uniques et singuliers.
Bien que les avantages soient nombreux, on peut souligner un inconvénient à ce mode de restauration : il s’agit de la dépendance aux plateformes de livraison. En effet, ces restaurants n’ont pour la plupart pas de service de livraison qui leur appartient, mais dépendent de plateformes telles que UberEats ou Deliveroo pour la livraison de leur repas.
En France, leur nombre explose
Depuis quelques années déjà, la livraison de repas à domicile prend de plus en plus de place sur le marché de la restauration. En effet, selon la Revue Business Livraison 2021 publiée par Food Service Vision, en décembre 2020 la livraison représentait un repas sur trois. Les grands champions de la commande de repas en France, ce sont les 18-24 ans, qui sont 8 sur 10 à se faire livrer leur repas. Pour autant, l’usage de ces services est en hausse également chez les autres classes d’âge. Selon cette même étude, aux 37 000 restaurants « réels » que comptabiliseraient les plateformes de livraison s’ajouteraient aujourd’hui près de 4 500 restaurants virtuels.
Un moyen de résister à la crise due au Covid ?
Cet attrait grandissant pour la livraison de repas et le nombre croissant d’ouvertures de restaurants virtuels n’est pas sans lien avec la crise sanitaire actuelle. Depuis mars 2020, les restaurateurs ont du faire face à de nombreuses restrictions, telles que l’interdiction d’accueillir des clients en salle. Face à cette contrainte – qui n’est pas des moindres pour un restaurant –, certains ont opté pour la livraison à domicile afin de maintenir une activité. Cette crise est également l’occasion rêvée pour lancer sa marque virtuelle et surfer sur la vague des Dark Kitchen. Bien que de nombreuses enseignes étaient déjà installées en France bien avant la crise, telles que Maison Poké, leur nombre a explosé ces derniers mois.
Ce constat, Julien Burbaud, chef du restaurant Fanfan, nous l’a confirmé. Ayant été en quelque sorte « paralysé » par la fermeture des restaurants, Julien et son équipe ont été forcé de se réinventer. Face au constat selon lequel la restauration gastronomique n’était pas adaptée à la vente à emporter, le chef a dû se mettre à la street food et la création d’une dark kitchen s’est imposée comme une évidence. « Il y a un an de ça, je n’aurais jamais envisagé la livraison », nous confie ce chef qui a aujourd’hui ouvert Les Débridés, une dark kitchen de street food fusion franco-asiatique. Sans la crise, on n’aurait donc peut être jamais pu connaître cette pépite !
Un danger pour les restaurants traditionnels ?
Avec l’effervescence de ces restaurants fantômes et tout l’engouement qu’il y a autour de ce concept, qu'en est-il de la concurrence ? Ce mode de restauration qui gagne de plus en plus le coeur (et le ventre) des Français·es – et dont la croissance est exponentielle, notamment en raison de la crise sanitaire – ne risque-t-il pas de faire de l’ombre aux restaurants traditionnels, même une fois les restrictions levées ?
Afin de comprendre ce qui se joue, nous avons questionné à ce sujet un membre de l’équipe d’un resto parisien "traditionnel" – souhaitant rester anonyme – ayant ouvert deux dark kitchens durant l’année qui vient se s'écouler. Selon lui, « c’est impossible que les dark kitchens prennent le dessus. C’est dans la culture des Parisiens de manger à table. » En effet, se poser en salle pour déguster un bon repas, qu’est-ce que ça nous manque ! Et puis, au cours de notre discussion, on nous a confié un constat très intéressant : la restauration à emporter est très démocratisée pour la fast food, mais moins pour la restauration plus élaborée ou la food asiatique par exemple. « C’est beaucoup moins démocratisé de prendre à emporter. » Bien que nos habitudes soient bousculées par le contexte sanitaire actuel, il y aurait donc des plats que l’on préfèrerait déguster au resto plutôt que dans son canap’. Au restaurant, on paye pour une expérience, pas seulement pour un repas. Julien Burbaud fait le même constat, et selon lui, « tous les restos vont être remplis ». Quand on lui parle de concurrence entre dark kitchens et restos "traditionnels", la réponse est claire : « Les dark kitchens ne présenteront aucun risque pour les restaurants traditionnels à leur réouverture : les gens ont envie de sortir maintenant. »
Voila de quoi rassurer les restaurateur·ice·s qui, pour certain·e·s, craignent une baisse du nombre de client·e·s à la réouverture de leur établissement. Malgré tout, Shanica, grande "foodie" parisienne, adepte de la bonne bouffe et des bons restos, est catégorique : la crise a modifié son rapport aux restaurants. Elle nous a confié avoir vu naître une « passion maison » qu’elle était loin de soupçonner. Finalement, une soirée canap', c’est pas si mal que ça ! Pourquoi aller manger des sushis au resto quand elle peut les manger chez elle, entre potes ou face à un bon film ? C’est justement la question qu’elle a commencé à se poser depuis le début de la crise sanitaire. Alors non, son amour pour les restos ne s’est pas éteint – loin de là –, mais son rapport à eux a changé. Maintenant, elle ira au resto « pour manger des plats en sauce qu’on ne peut pas trop commander ou faire chez soi », par exemple.
Malgré son habitude à commander, elle révèle ne pas être à l’aise avec la commande de repas dans les dark kitchens. Réduire les coûts et pouvoir mutualiser les cuisines, c'est bien, mais ne pas voir ni savoir ce qu’il se passe en cuisine ne la met pas très à l’aise. Elle est très attachée à « la petite histoire du resto », celle qui se raconte ou qu’on apprend en s’asseyant à table. C’est justement pour ces raisons que la dark kitchen Street Lab créée par Eleni Group avec le célèbre chef Juan Arbelaez a opté pour la transparence et la proximité avec ses consommateur·ice·s. « Nous sommes une cuisine secrète mais pas invisible », nous confie Ségolène de chez Eleni Group. Street Lab, ce sont quatre restaurants virtuels aux spécialités variées, que l’on peut commander directement au comptoir. Assis sur un tabouret, on discute en musique et, surtout, on peut jeter un œil à ce qui se passe en cuisine ! Ici, le virtuel devient réel, comme on dit, et les cuisines jusque-là secrètes n’en ont plus aucun pour nous.
Dark kitchen, le début d’une longue histoire
Cette tendance à commander et à manger pour être livré à domicile n’est apparement pas prête de s’arrêter avec la crise, en témoigne le site Snacking selon lequel « 98 % des personnes ayant commandé en 2020 déclarent avoir l’intention de continuer à le faire ». Et pour les adeptes de l’expérience que l’on vit lorsque l’on mange au restaurant, le chef Julien Burbaud nous assure donner tout son possible pour faire voyager les consommateur·ice·s depuis chez elleux avec une expérience gustative unique. Comme nous l’a si bien résumé Ségolène de Eleni Group, les dark kitchens et les restaurants "traditionnels répondent à deux besoins bien différents. Dimanche soir dans le canap' et vendredi soir au resto, ça te dit ? À priori, il n’y a pas d’inquiétude à avoir, les Français·es ne sont pas prêt·e·s d'arrêter d’aller au resto... et ne sont pas prêt·e·s non plus d’arrêter de commander de bons petits plats à manger depuis chez elleux.