Le Bonbon

[ENQUÊTE] : Le vin est-il voué à disparaître avec le changement climatique ?

Après l’été le plus chaud jamais enregistré sur Terre, les vendanges 2024 s’achèvent désormais aux quatre coins de la France. Face aux conditions météorologiques particulièrement instables, les vigneron·ne·s ont dû s’adapter, suscitant toutefois des interrogations sur l’avenir de la production viticole française.

Les derniers coups de sécateurs sont donnés. Alors qu’octobre pointe le bout de son nez, ce début d’automne marque la fin d’une intense période – celle des vendanges – pour les vigneron·ne·s français·es. Pendant plusieurs semaines, les grandes régions viticoles françaises ont récolté le fruit d’une année de travail, d’attention et de soins portés à leurs vignes

Une nouvelle réjouissante, mais teintée d’amertume, puisque les vigneron·ne·s ont dû faire face à des conditions climatiques particulièrement complexes. Alors qu’à l’échelle internationale, l’été 2024 figure désormais comme le plus chaud de l’histoire avec une température moyenne mondiale de 16,82°C(1), en France, la pluie n’a eu de cesse de s’abattre sur tout l’Hexagone, perturbant ainsi largement les récoltes pour le millésime 2024. Cette année, les précipitations ont donc été le problème majeur, mais depuis plus d’une décennie, les vigneron·ne·s et agriculteur·ice·s doivent composer avec d’importantes instabilités météorologiquestantôt marquées par des sécheresses extrêmes, tantôt par des excès d’eau, laissant le doute planer quant à la qualité et la quantité de leurs récoltes annuelles. « J’en suis à mon quatrième millésime et ça a été quatre visions complètement différentes », appuie Antoine Armanet, vigneron dans les environs de Nîmes. Avec des prévisions climatiques plus pessimistes d’une année à l’autre, le vin français tel qu’on le connaît aujourd’hui est-il voué à disparaître ?


©AlexandrMusuc/Shutterstock

Une situation de longue date

Si les interrogations quant à l’avenir de la production viticole française sont plus que jamais soulevées, les inquiétudes ne datent cependant pas d’hier. En août 2009, Greenpeace alertait déjà sur les impacts croissants du changement climatique sur la viticulture. « Si rien n’est fait pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, les vignes se déplaceront de 1 000 km au-delà de leur limite traditionnelle d’ici à la fin du siècle : la viticulture sera confrontée à une remise en cause radicale », indique notamment l’organisation.

Bien que variables d’une région et d’un cépage à l’autre, les conséquences de ce réchauffement climatique se font particulièrement ressentir sur la date des vendanges, qui n’a fait qu’avancer depuis 1950. En Alsace par exemple, les récoltes commencent à l’époque aux alentours du 15 octobre, d’après les données INAO(2). En 2000, elles débutent vers le 25 septembre, contre le 30 août en 2017, date la plus précoce depuis 1950. Selon une récente étude(3), la date des vendanges a été avancée de deux à trois semaines en moyenne sur les 40 dernières années. En cause : la maturité du raisin accélérée par la hausse des températures. Les grains étant mûrs plus vite, il est nécessaire de les récolter plus tôt, au risque d’obtenir un vin déséquilibré, moins acide, plus sucré mais aussi plus alcoolisé. Outre la question du goût, le règlement européen n°1308/2013 prévoit un titre alcoométrique total à ne pas dépasser de 15 % vol.


Un impact sur la qualité du raisin et de la production

Le réchauffement climatique a d’ores et déjà « provoqué des changements observés sur la physiologie de la vigne [tel que] l’avancement de sa phénologie (floraison, véraison) », développe le groupe national à l’initiative de la Stratégie de la filière viticole face au changement climatique en 2021. La sécheresse conduisant au manque d’eau, les raisins sont moins gorgés de jus, donc de taille inférieure et plus difficilement utilisables. Et la situation ne fait qu’empirer puisque le 6e rapport du GIEC a constaté qu’un « niveau de réchauffement global de 1,5°C par rapport à l’ère pré-industrielle sera atteint dès le début des années 2030 ». Selon Alexandra Guichard, propriétaire du restaurant Au Pays dans le 11e, mais aussi fille et agent de vigneron·ne·s, la sécheresse peut être atténuée tant bien que mal avec l’arrosage. « À choisir, ça reste le scénario le moins pire... », confie-t-elle.

Plus que la sécheresse, c’est l’intensification des phénomènes météorologiques liés au réchauffement climatique qui est en cause. Températures extrêmes, orages violents, gel destructeur, ou pluies abondantes : « On a un beau métier mais c’est difficile parce qu’on n’est pas maître de tout », déplore la jeune femme.

Cette année, le surplus d’eau a conduit à la prolifération du mildiou, un micro- organisme qui s’attaque aux plantes et notamment aux vignes, et affecte leur croissance. « Quand c’est sur les feuilles, ça peut aller, ça fait des petites tâches jaunes. Mais une fois que c’est sur la grappe, on ne peut plus rien faire, c’est pourri », explique la restauratrice. À cela s’ajoute le fait que les raisins gorgés d’eau « ont moins d’arômes et de complexité » finit-elle. D’après les chiffres(4), 2024 fera partie des trois pires années en termes de production de vin en France, aux côtés de 2017 et 2021, avec un total estimé à 39,3 millions d’hectolitres. Une quantité plutôt modeste face aux trois années les plus prolifiques, 2000, 2001 et 2004, où les productions oscillaient entre 55 et 60 millions d’hectolitres.


©Shutterstock


Des solutions pour sauver le vin ?

En mars 2024, le vin est redevenu la boisson alcoolisée préférée des Français·es, devant la bière, selon le baromètre 2024 SoWine en partenariat avec Dynata. Mais au regard de l’évolution climatique, doit-on s’attendre à voir cette boisson si caractéristique de la culture française disparaître de nos tables ? « Peut-être, et ça fait peur », s’inquiète Alexandra Guichard. À l’échelle mondiale, 70 % des régions viticoles(3) devront cesser leur production d’ici la fin du siècle en raison d’un changement climatique trop important.

Tout n’est pas pour autant perdu d’avance. Pour maintenir leur production, les vigneron·ne·s français·es pourront tenter de s’adapter. Des techniques culturales naturelles peuvent être mises en place telles que « le paillage pour garder l’humidité l’été », comme le fait Antoine Armanet, mais aussi l’ajout de matière organique sur le sol ou la taille de la vigne pour l’aérer et protéger les raisins. Plus drastique, la relocalisation dans une même zone de production ou une autre région s’inscrit comme une autre option envisageable. « Aujourd’hui, il y a des alternatives, des vignes sont plantées en Normandie et en Bretagne parce que le climat y devient adéquat », précise Alexandra. Malgré un futur incertain, pour les vigneron·ne·s, hors de question de baisser les bras : « Je me suis lancé là-dedans par passion pour mon métier et pour la création, souligne Antoine. Je peux m’exprimer à travers le vin. Ça demande une certaine audace et un peu de folie, c’est un challenge certes, mais chaque année apporte son lot de nouveautés. »


©Shutterstock

(1) Données Copernicus
(2) Institut national de l’origine et de la qualité
(3) Van Leeuwen, C., Sgubin, G., Bois, B. et al. Climate change impacts and adaptations of wine production. Nat Rev Earth Environ 5, 258–275 (2024)
(4) Chiffres Statista basées sur les données Agreste

Pour aller plus loin :

Vigne, vin et changement climatique, par Nathalie Ollat et Jean-Marc Touzard, aux éditions Quae
Quel vin pour demain ?, par Jérémy Cukierman, Hervé Quénol et Michelle Bouffard, aux édition Dunod
Le podcast La Terre à Boire, disponible sur toutes les plateformes