Et si on coupait tout ? Scotchés à notre portable à longueur de journée, en panique dès qu’il n’est pas à portée de main, certains d’entres nous commencent cependant à se méfier de cette servitude technologique, et de ses conséquences... Mais vivre déconnecté, est-ce vraiment possible ?
L'Homo Conexus en surchauffe
Depuis quelques temps, un phénomène paradoxal est à l'œuvre dans notre société. A l’heure de l’ultra-connexion – on ne peut se passer d’une connexion quasi-permanente –, on chercherait au contraire de plus en plus à se déconnecter.
Le sociologue Francis Jauréguiberry, chercheur au CNRS et spécialiste de l’individu hypermoderne, a analysé les nouveaux comportements de ce qu’il appelle "l’Homo Conexus", l’homme connecté en permanence (c'est-à-dire nous), et a constaté notre volonté grandissante de déconnexion.
On a beau penser que ces technologies nous facilitent la vie, elles sont aussi une source de stress. Pour Marie-Christine Delahaye, formatrice en mindfulness et en yoga, et organisatrice de séjours de digital détox, il ne fait d'ailleurs aucun doute que le burn-out numérique existe. « Aujourd’hui il est reconnu dans les risques psycho-sociaux », précise-t-elle.
« Sur la rapidité par exemple, on vous envoie un mail et il faudrait déjà que la réponse soit faite. Un cadre reçoit en moyenne 70 mails par jour auxquels il est censé répondre ! Il a été prouvé que la multiplication des sources d’information augmente la stimulation », explique-t-elle. « Le burn-out est une simple surchauffe, une surchauffe mentale. C’est un peu comme une cocotte minute que vous mettez sous pression. Pour que ça baisse, il faut ouvrir une soupape. »
Pour éviter l'implosion, un droit à la déconnexion a été inscrit dans le code du Travail depuis le 1er janvier 2017.
Aux Etats-Unis, il existe même un National Day of Unplugging qui invite chaque année les citoyens à déconnecter en éteignant leur portable pendant 24h. L’idée ? Permettre de se connecter avec les gens qui les entourent, ne pas être interrompu pendant un repas ou encore lire un livre tranquillement.
En plus de vouloir fuir une source de stress supplémentaire, cette volonté de déconnexion est également la démonstration de notre volonté d’échapper à un monde qui nous "ment". Cette année, un nouveau mot est entré dans le dictionnaire Oxford - la "post-vérité" - avec l’idée que l’on n’arrive plus à distinguer le vrai du faux, à cause de la multitude d’infos contradictoires que l’on reçoit. A la notion de temps et d’espace s’ajoute désormais le besoin de se protéger et de retrouver un cocon au sein duquel notre cerveau a le temps d'assimiler et de jauger la fiabilité des informations qui lui sont fournies.
Le retour du Nokia 3310
Le 27 février, Nokia annonçait le retour du fameux Nokia 3310, produit devenu quasi légendaire. Outre une façon de reconquérir le marché en misant sur la nostalgie, son petit prix (49 euros) et son autonomie de batterie (22 heures) pourraient en faire le symbole de cette envie de déconnexion.
Raphaël, community manager, 31 ans, a un Samsung E1200I Noir (le plus basique possible) depuis maintenant 15 ans et raconte pourquoi il n'a pas cédé à la folie du smartphone : « Je n’ai jamais eu de smartphone, je trouve que c’est une aliénation des réseaux. Tu ne fais que ça de toute la journée, tu ne réfléchis plus tout seul (…). Je ne supporte pas l’iPhone, on se regardera dans le futur en disant qu’on était débiles », assène-t-il.
« En soit, je n’ai besoin de rien d’autre que de téléphoner et d’envoyer des textos », renchérit-il. « On se tromperait en pensant qu’on a besoin d’Internet 24h/24. C’est un besoin créé de toute pièce. »
Raphaël a beau vigoureusement critiquer Internet, il reconnaît qu’il lui est quasiment impossible de s’en déconnecter : « J’en suis esclave, je pourrais passer une journée entière sur Facebook, même si je n’étais pas CM ».
Un rêve impossible ?
La déconnexion, cela permet de « se retrouver avec soi-même, de se reposer, de réfléchir, de faire autre chose que d’être relié en permanence », explique Marie-Christine. Mais vivre sans portable, est-ce vraiment possible ? La réponse est oui, mais non sans conséquences !
Thomas, 27 ans, interprète pour une société japonaise, a vécu presque un an sans portable, involontairement au départ, puis volontairement après y avoir pris goût. « C’était difficile les trois premiers mois, j’éprouvais un manque, j’avais du mal, mais j’ai commencé à m’habituer, c’était très agréable de ne plus être accroché à une laisse, je trouvais ça génial de ne pas avoir de téléphone », raconte-t-il.
Il explique comment une fois le stade de l’apparente réclusion passé, la plus grande satisfaction était de ne pas être complètement joignable, de pouvoir décider de consulter ses messages quand il le voulait (via Facebook, ndlr), d’être beaucoup plus en contrôle de ses actions. « J’ai raté pas mal de soirées avec les copains, et j’ai sans doute raté pas mal de rencards aussi, mais finalement j’ai vécu 11 mois de paix », confie-t-il. Car même si le décallage se fait parfois sentir, il explique que ce n’était pas si désagréable. « Le problème venait plutôt des mes amis, tout le monde m’engueulait, me reprochait de ne pas avoir de portable ».
Contraint de récupérer un portable à cause du travail, cette "cure" lui a permis d'avoir une attitude plus distante avec son téléphone ; mais une chose est sûre, il ne supporte pas l'attitude des gens avec leur portable. Selon lui, les gens sont complètement accros, et l'assument.
C'est le cas de Marzia, 30 ans, publicitaire, qui malgré une expérience "sans portable" positive n'a pas changé son utilisation addictive pour autant. Elle a vécu sans portable pendant une semaine, non par choix, mais parce que son téléphone était tombé dans les WC. « Ça a été un peu un choc, mais j’ai quand même apprécié », confie-t-elle. « Cette semaine m’a permis d’apprécier d’avantage ce qu’il y avait autour de moi, et d’être dans la vie réelle. Mais aujourd'hui, je suis toujours accro, même si j’essaye de l’utiliser quand j’en ai vraiment besoin et pas que pour passer le temps », explique-t-elle.
Alors même si la déconnexion s'avère difficile, de plus en plus de personnes commencent à couper leur téléphone au moins pendant un certain laps de temps. « Je connais certaines personnes qui à partir de certaines heures, décident de ne pas l’utiliser ; le mec d’une copine par exemple lui empêche de ramener le portable dans la chambre, et j’aimerais bien tester », raconte Marzia.
Pour Marie-Christine, vivre déconnecté ne serait qu'une question de choix. Loin d’être un gourou de la déconnexion, sa philosophie est plutôt de nous amener vers une prise de conscience dans notre relation avec le digital et de nous inviter à « raisonner avec la connexion ». « Le premier geste de 75% des gens le matin quand ils se lèvent, est de checker leur smartphone », raconte-t-elle. « Est-ce que c’est bien ? est-ce que c’est pas bien ? Certains considèrent qu’il n’y a pas de problème, d’autres considèrent que ça les stresse, et à ce moment-là une des solutions est de le mettre dans la cuisine. »
Il ne s'agit donc pas de passer de tout à rien, simplement de savoir si c'est un problème pour nous, et si ça l'est, de couper son portable ne serait-ce que 10 min. Chiche ?