Le Bonbon

Barbie partout tout le temps : comment et pourquoi le rose est devenu une couleur girly ?

Cette année l'été sera rose ! Avec le très probable succès imminent du film Barbie de Greta Gerwig au cinéma, la couleur rose risque de squatter notre quotidien pour un bon moment. Mais quelles sont au juste les significations de cette couleur, et comment est-elle devenue girly ? Autre question, cette couleur stéréotypée pourrait-elle être aussi un attribut féministe ? Analyse.

Anecdote qui a son poids symbolique : Sarah Greenwood, cheffe décoratrice du film Barbie, a déclaré en juin dernier que la quantité de peinture rose utilisée sur le plateau du long-métrage était telle qu'il s'en est suivi une pénurie mondiale. Et le tabassage marketing autour du long métrage risque à son tour de me provoquer une overdose visuelle. Rose, le hamburger Barbie de chez Burger King et le nouveau frappuccino de chez Starbucks. Roses, évidemment, les accessoires pour la plage estampillés Barbie vendus par Primark. Rose encore le jeu Monopoly édité chez Hasbro. Roses les tongs, les patins, les produits de beauté, les brosses à dents, les bouées gonflables et j'en passe... Après tout, l'omniprésence de cette couleur est tout à fait normale et correspond aux codes du Barbiecore, cette tendance qui reprend toute la grammaire esthétique de la poupée Mattel créée en 1959 aux USA.

L'été sera rose, donc. Mais que sait-on au juste de cette couleur et que signifie-t-elle ? De prime abord et d'une manière stéréotypée, le rose est culturellement une couleur fortement genrée — girly par excellence —, et le marketing autour du film Barbie est bien là pour nous le rappeler. Mais ce qu'il y a d'intéressant dans les clichés, c'est qu'ils existent pour se faire démonter.


La vie en rose

Le rose a-t-il toujours été pour les filles ? En fait, tout dépend du zeitgeist* de l'époque. En retraçant la généalogie sociologique de cette couleur, je m'aperçois ainsi avec une certaine délectation que le rose n'a pas toujours été "la couleur de la féminité". En naviguant sur le site de France Inter et en écoutant le podcast Petite histoire de la couleur rose de Giulia Foïs, j'apprends qu'à l'origine, le rose était la couleur des hommes : « C’est une déclinaison du rouge qui est longtemps celle de la puissance et de la force. Sur des tableaux du Moyen Âge ou de la Renaissance, les rois posent souvent en tunique rose. Les femmes, elles, sont en bleu, couleur de la vierge Marie. »

Apparemment, au XVIIIe siècle, Madame de Pompadour — la maîtresse de Louis XV —, se serait entichée de cette couleur, si bien qu'aujourd'hui une nuance de rose porte son nom. Madame de Pompadour est-elle la première Barbie moderne ? S'est-elle approprié cette couleur par défi, parce que le rose était une couleur masculine ? Les interprétations restent ouvertes mais ce qui est certain, c'est qu'au fil des décennies suivantes, le rose s'est progressivement instauré comme la couleur des petites filles, et plus généralement de la femme. En cause ? Sans doute l'imaginaire fleuri des poètes romantiques, qui ont opéré une inversion de la perception de cette couleur, voyant en elle l'incarnation de la tendresse, de la chair accueillante et de la douceur. Mais aussi d'un brin de mièvrerie, avec l'expression dédiée "à l'eau de rose"...


Une couleur désormais politique

Selon Jo B. Paoletti, auteur du livre Pink and Blue: Telling the Boys from the Girls in America« c'est à la fin du XIXe siècle aux USA que le code couleur bleu-rose en fonction du genre se met en place, surtout pour différencier les garçons des filles. » Un phénomène accéléré par l'ère industrielle galopante et un changement de mode vestimentaire, puisque de plus en plus d'hommes se sont mis à porter des couleurs foncées et sobres, laissant les couleurs vives et pastels aux femmes. D'un côté donc, le sérieux et la puissance, de l'autre, la frivolité et la légèreté. Cet écart s'est amplifié au XXe siècle, surtout après les années 50. Fait intéressant, d'après Michel Pastoureau, historien de la couleur et auteur du livre Le rose Barbie, le succès de la poupée du même nom aurait largement contribué à la féminisation de cette couleur. Le processus s'auto-alimente alors : le rose est la couleur des petites filles car leurs rayons pour jouets sont roses, leurs rayons pour jouets sont roses car c'est la couleur des petites filles.

Voir cette publication sur Instagram

Une publication partagée par BARBIE (@barbiethemovie)

Mais alors, le nouveau film Barbie est-il le porte-étendard du sexisme, de la binarité et de la mysoginie ? Connaissant le féminisme de sa réalisatrice, Greta Gerwig, cette idée nous semble absurde, surtout quand celle-ci déclare sur ABC News que « Barbie est évidemment un film féministe ». Et le rose y a évidemment son rôle à tenir : il est d'abord la ré-appropriation par les femmes d'une couleur qui leur a été imposée par le patriarcat. Mais aussi, et surtout, son extravagante exagération est sciemment une subversion des diktats patriarcaux pour les transformer en revendications émancipatrices. Jouer avec les clichés pour mieux les déjouer, en somme. Et en cela, le rose de Barbie est, sans aucun doute, une couleur politique.

(*) zeitgeist = air du temps, pensée dominante