Le Bonbon

Les jambes poilues : la fin du tabou ?

Le mois dernier, c’est Riri qui a défrayé la chronique en postant une photo d’elle laissant découvrir ses jambes légèrement poilues sur Instagram. De nombreux internautes ont saisi cette occasion pour dénoncer le diktat de la jambe épilée. Et il semblerait bien qu’on s’achemine, tranquillement mais sûrement, vers la fin d'un régime oppressif envers les poils aux pattes.

Nombreuses sont les jeunes filles qui commencent à s’épiler très tôt, dès l’apparition d’un poil qu’on nous apprend disgracieux. Puis la publicité et son appel à l’épilation confirme l’évidence : il faut se raser, et même mieux, souffrir et s’épiler pour « garder une peau douce pendant plusieurs semaines ». Cependant, l’idée d’arrêter effleure l’esprit de certaines d’entre elles. On s’y essaie, on arrête, on reprend. Et puis pour d’autres, la jambe poilue s’est transformée en symbole de la lutte féministe.


Des premiers pas difficiles

La décision de garder ses jambes poilues part souvent d’un constat : pourquoi est-ce qu’on s’inflige tout ça ? C’est vrai, au final. Quand on remonte la chronologie de notre rapport aux poils, aux rasoirs, à l’épilateur ou à la cire, il n’y a que nous derrière tout ça. C’est nous-mêmes qui avons décidé de raser ces premiers poils, comme un rite de passage à l’âge adulte ou comme le symbole d’une féminité qui doit être sans cesse réaffirmée par peur de sortir des clous. De même qu’un homme qui se rase les jambes choque en s’appropriant les codes de cette même féminité.

On peut alors poser ce postulat : si ça ne tient qu’à nous, il est simple de mettre fin à ce tabou. Pourtant, on a beau être pleine de bonne volonté, cette solution reste un peu facile en surface. Et au final, il y a comme une force extérieure qui vient toujours nous rappeler à l’ordre de l’épilation. « Moi j'essaie d'arrêter de m'épiler. Par exemple j'avais arrêté de toucher à mes jambes pendant quelques mois et là à l'approche de l'été, ça me tue mais je me suis épilée les demi-jambes, alors que d'habitude j'en ai rien à faire. Mais c'est des remarques qui m'ont fait faire ça. » Pourquoi Laura, 21 ans, a-t-elle craqué ? Car c’est pas si facile que ça, de s’en foutre. Le poil aux pattes pour les femmes est perçu comme un manquement à la norme, reflet d’une pression sociale intériorisée.


« C’est devenu une évidence pour moi que les poils on s'en foutait »

Ce diktat, même celles qui aujourd’hui s’en sont émancipées ont pu le ressentir. Emeline témoigne : « Il y a deux ans, j’ai laissé pousser mes poils et j'ai pas pu aller au bout. Je trouvais mes jambes trop masculines et j’assumais pas donc j'ai recommencé à me raser. Mais moins souvent. (…) Je me souviens que cet été-là, des copains m'ont fait des réflexions du type "Moi, je coucherai jamais avec une fille qui s'épile pas le maillot" ou "Pourquoi tu fais ça ? C’est pas joli". »

Dans son cas, ce sont les rencontres et les discussions qui lui ont fait sauté le pas et l'ont aidé à « s’en foutre ». Ce qu’elle a réussi à faire ? Détacher l’image des jambes épilées des modèles de féminité ; et c’est un certain stade de liberté qu'elle a atteint. « Le moment où j'ai vraiment arrêté, c'est l'été dernier. Depuis l'été dernier je n’ai plus jamais utilisé de rasoir ni autre objet de torture similaire. J'ai passé un mois dans un squat dans les Pyrénées, où les hommes et femmes étaient poilus et avaient le droit de se promener torse nu. C’est devenu une évidence pour moi que les poils on s'en foutait. (…) Je pense que la meilleure manière de se battre c'est de s'en foutre, et je trouve que c’est le plus dur en fait, de s'en foutre. »


Militantisme et lutte contre le patriarcat

Pour beaucoup de femmes militantes, la question du poil est essentiellement une question de patriarcat et de féminisme. Pour preuve : la jambe épilée est associée aux femmes, dans beaucoup de structures mentales. Et le contraire choque, ou fait rire. De quoi pousser les femmes à utiliser la jambe poilue comme instrument de lutte contre le régime patriarcal. Et pour certaines, cela se fait après la « resocialisation [du] regard » sur ses poils, autrement dit après le travail fait pour accepter et aimer ses poils, soi-même. Pour Emeline, « [le militantisme] est venu après coup » : « je dirais qu'il est plus dans le fait que je porte des mini-jupes sans gêne, et que j'en parle autour de moi, que j'essaye de convertir les femmes que je rencontre etc. »

Mais pour en arriver là, il y a du pain sur la planche. C’est ce que Laura appelle un « long travail de déconstruction » : « Le patriarcat est très très bien implanté. Genre Instagram tout ça, ça culpabilise beaucoup. T'as l'impression que t'es jugée de partout, et c'est difficile de s'en défaire. (…) ce qui compte c'est de faire de la communication sur le sujet, d'arrêter les pubs sexistes et les injonctions à l'épilation quoi. »

En parlant de militantisme, c’est un autre destin du féminisme qui a marqué la lutte pour la fin du tabou sur le poil aux pattes ; celui d’Arvida Byström, pour la campagne de pub Adidas dans laquelle la photographe suédoise pose avec ses jambes au naturel, dans le but de provoquer un réveil des consciences. Mais les premières réactions ont été décevantes voire révoltantes. Une déferlante de critiques s’est abattue sur la jolie blonde, qui a même reçu de certains internautes des menaces de viol. Évolution, donc ? Oui, mais limitée.

En se penchant sur la question du point de vue militant, il ne s’agit pas de catégoriser les femmes entre celles qui se soumettent aux injonctions du patriarcat en s’épilant et celles qui luttent en laissant leurs poils vivre. On ne peut pas avoir cette vision manichéenne de la gestion du poil. Le rapport de chacune à son corps reste personnel, intime, et ne doit pas appeler de jugement.

Car on est d’accord, se sentir bien dans sa peau reste essentiel ; et si cela doit passer par l’éradication des poils, qu’il en soit ainsi. Mais à l’inverse, les femmes qui trouvent absurde de se sentir obligées de se raser ou de s’épiler devraient avoir le droit de ne pas le faire sans que cela soit considéré comme "sale" et sans se sentir jugées ou insultées.

Pour reprendre les termes de la mouvance body posi, qui aide de plus en plus de femmes et d’hommes à s’aimer et à aimer ce qu’ils et elles considéraient comme des "imperfections", donnons vie à la jambes-poilues positivity, pour le meilleur.