Le Bonbon

Coke et restauration : on a parlé poudre blanche dans les cuisines parisiennes

La restauration est-elle un milieu particulièrement propice à l'usage de drogues ? Le chef superstar Gordon Ramsay a remis le sujet sur la table à l’occasion de la sortie mi-octobre d’un documentaire où il affirme que « la cocaïne est partout dans la restauration ». Une façon pour lui de faire le buzz, mais qui soulève tout de même la question de savoir si la drogue est si répandue que cela, et surtout si cet usage est propre à la restauration.


Evidemment, l’usage de la cocaïne se trouve dans tous les milieux – politique, finance, journalisme etc. Il n’empêche, certains métiers sont plus vulnérables face aux risques d’addiction, dont ceux du milieu de la restauration. Dans une étude publiée en 2012 par l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (INPES), 26,9% des personnes employées dans le secteur de l’hôtellerie-restauration reconnaissaient une consommation importante d’alcool, 9,2% un usage occasionnel de la cocaïne et 7,9% des amphétamines, ainsi qu'une consommation de tabac et de canabis supérieure à la moyenne nationale. 

Plusieurs facteurs expliquent l’usage de la cocaïne dans le milieu de la restauration. Tout d’abord la nature du travail. « Quand le travail est collectif, on remarque que la sociabilité est nécessaire pour le travail, l’alcool, le cannabis, la cocaïne, aident à créer une bonne ambiance, à consolider le groupe et à renforcer les liens entre les salariés lors de soirées. En général les premières consommations commencent dans un environnement festif », explique Marie Rosaire Ngo Nguene, sociologue et auteure de l’article "Les formes différenciées d’usages de produits psychoactifs au travail : les cas des bars-restaurants et des chantiers du bâtiment", publié en 2015 dans la revue Psychotropes.

Par ailleurs, les patrons auraient tendance à recruter des gens ayant le même profil, le même comportement et la même consommation au travail. « Si un patron a une philosophie de la fête, cela crée une certaine permissivité à consommer au travail, des patrons consomment avec leurs salariés, et certains proposent même de payer les pourboires en cocaïne. Cela permet de créer un lien particulier avec l’équipe, une complicité, une confiance qui est nécessaire dans ce genre de métier », commente Marie.

La présence de drogue au travail dépenderait donc clairement du type de restaurant, et du patron. Christina, 23 ans, aujourd’hui serveuse dans un restaurant italien à Neuilly, raconte son expérience dans un restaurant des frères Costes : « Tout le monde tapait là-bas, les serveurs tapaient pendant le service, ça tournait dans le resto. Moi personnellement j’en ai pris mais pas dans le cadre du taff. Pour moi, c’est quelque chose de festif, je peux pas prendre ça en étant sérieuse. J’ai toujours refusé. » Dans l’établissement dans lequel elle travaille aujourd’hui, ça ne circule pas du tout. Cela faisait partie d’un tout, d’une ambiance particulière. « C’est un endroit relativement festif quand ça bosse, le week-end il y un Dj le soir, les gens se mettent dans l’ambiance et les gens qui taffent dans les Costes sont show-off. »

Selon Alix, 28 ans, manager dans un restaurant parisien, la présence de coke dans un établissement dépend sans aucun doute « du rythme, de l’ambiance et des gens qui le dirigent (...) J'ai fait une dizaine de resto (des restos de quartier, NDLR), et j’ai jamais été confrontée à ça, les patrons ont été très clairs avec nous : "si tu fumes un pétard, prends de la C ou autre, pas la peine de revenir" ». Et cela même lorsqu'elle travaillait au 130, une ancienne boite de nuit rue de Rivoli.  

Outre l'aspect social, la pénibilité du travail expliquerait également une prise de cocaïne. « Alors que les premières consommations sont souvent festives, car cela permet d’avoir une sociabilité après le travail, en se réveillant on n’est pas en forme, il y a une prise qui permet d’être boosté, un peu comme un café après une soirée trop arrosée », explique Marie.

Martin, 31 ans, chef d’un néo-bistrot à Paris, a pu observer cela pendant plusieurs années passées dans les cuisines d’un chef étoilé : « On commençait à 7h et on finissait à 1h du matin, avec un repas par jour, 15 minutes de pause, on faisait des journées de 18h, certains pouvaient juste pas suivre sans ça. (...) J’ai même eu un chef qui atteint d’une rage de dent, prenait de la coke pour enlever la sensibilité, tellement on n’avait pas le temps de vivre ». Alors que cette pratique ne le choque pas à proprement parler, il critique le fait que ce soit une façon de se doper. « Si tu commences à en prendre, c’est que c’est pas un métier pour toi, pour moi c’est tricher. »  

Car si certains prennent de la coke dans l’idée de se stimuler, les salariés le feraient aussi pour des raisons de "performances sociales". « Pour un serveur, inhaler de la cocaïne en période de rush est un moyen de manifester au client qu’il est rapide, dynamique et efficace », explique Marie. « Et cela permet de gonfler son pourboire »ajoute Valentin, 28 ans, dans le milieu de la restauration (aussi bien serveur que cuistot) depuis une douzaine d'années à Paris. « Dans les brasseries de luxe notamment, les serveurs se doivent d'être un peu classes et veulent être frais tout le temps alors qu'ils font des services de porc. »

Christina, lorsqu'elle était dans un établissement Costes, pense qu'au contraire cela n'apportait aucune valeur ajoutée aux serveurs qui en prenaient : « Ça les stimulait, ils étaient plus rapides dans leur pas, mais c’est pas un bon moyen d’être focus, et puis quand tu tapes, ça donne envie de boire des coups, du coup ils volaient des bouteilles dans la cave du resto et picolaient en même temps »

Même si la coke peut trainer derrière quelques fourneaux, « le vice en cuisine c’est plus l’alcool que la drogue », souligne Martin. « A tel point qu'ils ont inventé les alcools modifiés, ils sont salés et poivrés pour pas que le staff puisse le boire, il y a des vrais problèmes d’alcool, j’ai beaucoup bu à une période, parce qu’on s’amusait plus, on s’éclatait parce qu’on buvait, j’adorais me faire mon café armagnac et j’en servais à toute ma brigade, puis j’ai fini par arrêter quand j’ai commencé à avoir de la tachychardie. »

Alcool ou drogue dure, la restauration reste un milieu particulièrement réceptif aux usages de psychotropes, mais comme le souligne l'étude de Marie Rosaire Ngo Nguene, cette consommation certes addictive n'exclut pas l'usage rationnel du produit. « Parmi les gens questionnés, certains n’ont pas osé parler de leur usage, parce qu’ils pensaient que le jugement de la société ferait qu'ils seraient considérés comme des drogués, j’ai dû leur donner des exemples de ces gens qui sont dans un usage quotidien des produits pour leur donner une autre perspective. »

Loin d'être un mythe, la coke n'est pas non plus l'apanage spécifique du milieu de la restauration, et existe finalement comme partout ailleurs...

*Certains prénoms ont été modifiés