« Ici, c’est la liberté à tous les niveaux. Je ne regrette rien mais quand je nous vois là, je me demande pourquoi on ne l’a pas fait il y a dix ans », confie Sita, 38 ans, le sourire aux lèvres. Derrière l’écran, elle nous présente ses ongles peints d’un vernis bleu turquoise nacré. « Vous voyez, ça en France, je n’aurais jamais osé », plaisante-t-elle, installée dans la maison dans laquelle elle et sa famille viennent tout fraîchement d’emménager. Alors que l’horloge affiche 14h30 à Paris, il n’est que 7h30 à Mobile, dans l’État américain de l’Alabama, où la jeune maman a posé ses valises il y a deux mois à peine, avec son mari Luc, 45 ans, et son fils Eliott, 5 ans et demi. Un changement de vie drastique, impulsé par un réel désir d'ailleurs combiné à une opportunité professionnelle.
Sita, Luc et Eliott @french_expat_usa
Comme Sita et sa famille, de nombreux Français·es décident chaque année de sauter le pas et de quitter l’Hexagone pour s’expatrier à l’étranger. Selon le Registre des Français à l’étranger, ils seraient 1 692 978 à vivre dans un autre pays du monde en 2023. Un chiffre en hausse de 0,54% par rapport aux deux années précédentes, qui avaient connu de légères baisses après l’épidémie de Covid-19. L’inscription à ce registre n’étant pas obligatoire, les Français vivant à l’international seraient en réalité estimés à 2,5 millions, d’après le ministère de l’Europe. Envie d’un nouveau départ, d’une autre vie pour ses enfants ou nécessité professionnelle... Qu’est-ce qui pousse les Français·es à tout quitter pour aller vivre au bout du monde ?
Le choix du renouveau
« Je viens d’une famille de grands voyageurs. Mes grands-parents vivaient au Vietnam, puis ont immigré en Afrique, on a toujours beaucoup bougé, ma tante a même vécu en Alabama », raconte Sita. Alors naturellement, lorsque le Covid a mis en stand-by les activités entrepreneuriales et qu’un épuisement lié aux contextes professionnels s’est fait ressentir, la question de l’expatriation est revenue sur la table. L’Asie, le Canada... Pour Sita et sa famille, le choix de la destination a été orienté par l’ouverture d’une filiale de l’entreprise de son mari, en Alabama. « Les États-Unis, ça me faisait rêver, mais j’avais un tas d’a priori sur cet État : racisme, criminalité, mauvaise nourriture... Je m’arrêtais à ce que je voyais sur Internet et j’avais bien tort », confie la jeune maman.
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Bien que l’Europe reste majoritaire, le choix de l’Amérique n’est pas anodin puisque 20,55% de la communauté de Français·es expatrié·es se trouve outre-Atlantique*. D’après le ministère des Affaires étrangères, cinq pays d’expatriation sont prédominants pour les Français·es : la Suisse, les États-Unis, le Royaume-Uni, la Belgique et le Canada. L’Allemagne, l’Espagne et le Maroc complètent le classement, selon les données Statista. Si pour Sita, l’expatriation s’est illustrée comme « un choix personnel » soutenu par une opportunité professionnelle, le Chef économiste Jean-Luc Biacabe** estime que « la motivation professionnelle reste prépondérante dans les départs hors de France et que le niveau de qualification de ces populations est sensiblement plus élevé que celui de la moyenne nationale ». Une hypothèse qui se reflète dans les chiffres puisque la moitié des Français·es qui s’expatrient sont en âge de travailler, 22% ont entre 26 et 40 ans et 28% ont entre 41 et 60 ans.
Offrir une vie à l’étranger à ses enfants
Pour la famille toulousaine, le processus a mis un an, « entre la décision et le départ ». Après un voyage de reconnaissance en 2023 qui a achevé de les convaincre, ils ont commencé les démarches administratives, accompagnés d’un cabinet d’avocats en charge du package mobilité. « On était dans les starting blocks. Il a fallu trois mois pour faire les papiers et le déménagement parce qu’on était prêts », explique-t-elle. Une décision d’adultes, qui inclut également un enfant : « Quand je lui demandais s’il voulait vivre en Alabama après nos vacances, il n’était pas trop tenté parce qu’il avait tous ses repères, ses copains, ses jouets à Toulouse, témoigne Sita au sujet de son fils Eliott, mais on l’a impliqué dans tout le processus. »
Nouvelle maison, nouvelle école, nouvelle langue... En quelques semaines à peine, le petit garçon a su s’adapter et se familiariser avec un nouveau système scolaire. « On m’avait dit que beaucoup d’enfants scolarisés dans les écoles publiques locales aimaient bien l’école. Dès qu’il rentre, il a le sourire et me dit que les gens sont vraiment gentils », complète-t-elle. Une aubaine pour cette maman, qui déplore le manque de ressources pour préparer les enfants à un tel changement de vie, alors même que « les personnes mineures (enfants) représentent 22% du total » des Français·es à l’étranger selon Jean-Luc Biacabe. Son objectif désormais : inspirer et guider les futurs expatriés. Sur son compte Instagram, elle partage son quotidien de Française en Amérique pour « accorder aux autres ce [qu’elle] n’avait pas eu ». Elle travaille également sur un projet de livre qui mêlerait histoire pour enfants et guide pour les parents pour qu’ils puissent accompagner au mieux leurs bambins dans ce changement de vie.
L’Australie, la destination émergente
Si l’Europe et l’Amérique ont toujours eu la cote, depuis 2014 environ l’Australie est aussi sur toutes les lèvres. Pour y voyager, y travailler ou même y bâtir son avenir, elle devient chaque année plus prisée pour ses paysages sans égal, son climat et sa facilité de vie. En 2022, le pays a connu une hausse de 29,5% de son nombre de résident·es né·e·s à l’étranger. D’ailleurs, Élodie et Guillaume, expatrié·es sur le continent du bout du monde depuis 2011, le constatent : « C’est exponentiel, il y a des Français partout, surtout des jeunes », précise Élodie. En 2020, après près de dix ans à Brisbane, c’est un tout autre mode de vie que le couple et ses deux enfants adoptent. « On a décidé de tout vendre sauf la voiture et une petite caravane et de partir à l’aventure pendant quelques mois... Mais ça fait quatre ans », confie-t- elle. Nomades et devenus citoyens australiens, ils sillonnent le pays et le monde d’abord à quatre, puis à cinq depuis 10 mois.
Élodie, Guillaume et leurs enfants ©fraussie_vanlife
Qu’est-ce qui leur plaît dans ce quotidien-là ? La simplicité de la vie, dans un pays dont ils ne se sont jamais lassés. « On dit souvent qu’on est riche de temps avant d’être riche d’argent. » Accompagnés par l’éducation nationale locale, les enfants suivent le programme scolaire, tout en s’éduquant au fil de leurs voyages. Dans leur caravane de 20 m2, on s’adapte aux uns et aux autres autant que l’on communique. « On n’a pas de portes, on ne peut pas laisser traîner les émotions », avoue-t-elle. Un mode d’expatriation pour le moins singulier, qu’ils partagent sur Instagram et à travers leur agence de tourisme Travel for Good, qui permet d’organiser le séjour des familles en Australie, Nouvelle-Zélande et Tanzanie. Pour Élodie, s’il n’y avait qu’une leçon à tirer de cette vie à l'étranger, ce serait qu'« il y a d’autres façons de vivre ailleurs, qui ont leurs avantages et leurs inconvénients. S’intéresser à d’autres cultures, ça permet une sacrée ouverture d’esprit et c’est ce que je préfère dans ce qu’on a offert à nos enfants ».
*Amériques et Caraïbes combinés
**Biacabe Jean-Luc, "Expatriation des Français : fuite ou nouvelle dimension de la mondialisation ?", Géoéconomie, (N° 75), 3, 2015, pp.35-50.
Pour aller plus loin :
- Sita @french_expat_usa / Élodie, Guillaume et leurs enfants @fraussie_vanlife
- French Expat, un podcast de French Morning
- Travel for Good, une agence de tourisme solidaire par @fraussie_vanlife/ @travel_for_good_
- Tout plaquer et partir au bout du monde, un livre de Anne-Florence Salvetti-Lionne aux éditions Hachette Pratique